Zermatt, laboratoire alpin de durabilité
À 1 608 mètres d’altitude, nichée au pied du mythique Cervin, Zermatt évoque d’abord le luxe, les panoramas de carte postale et les descentes à ski impeccables. Mais la station valaisanne cache une autre facette, moins connue mais tout aussi remarquable : celle d’un véritable laboratoire d’innovation environnementale en milieu montagnard. Alors que le tourisme alpin est sous pression face à l’urgence climatique, Zermatt cherche à démontrer qu’un tourisme de montagne peut rimer avec transition écologique — sans sacrifier l’expérience des visiteurs.
Comment cette station emblématique est-elle devenue un modèle en matière de durabilité ? Quelles innovations y sont testées ? Rencontre avec celles et ceux qui réinventent la montagne au quotidien.
Une station sans voitures… depuis plus de 50 ans
« Zermatt est interdite aux voitures thermiques depuis 1961, bien avant que cela ne devienne une tendance environnementale », rappelle Andreas Ruppen, directeur du Service de la mobilité de la commune. Seuls les véhicules électriques ou à hydrogène sont autorisés dans le périmètre de la station. Les visiteurs doivent laisser leur voiture à Täsch, à 5 km, puis emprunter un train navette jusqu’à Zermatt. Résultat : un air plus pur, une ambiance sonore paisible et une immense réduction des émissions liées au trafic local.
Cette politique de mobilité douce donne le ton. Dans les ruelles étroites, les taxis électriques — petits et silencieux — remplacent les autos rugissantes. Zermatt a ainsi réussi à maintenir un accès touristique performant tout en maîtrisant son empreinte écologique.
Des remontées mécaniques alimentées à 100% par des énergies renouvelables
Skier à Zermatt, c’est emprunter un domaine skiable alimenté entièrement par des énergies renouvelables. Les 200 kilomètres de pistes du Matterhorn Ski Paradise, qui relient Zermatt à Cervinia (Italie), sont desservis par des remontées mécaniques dont l’énergie provient exclusivement de l’hydroélectricité.
« Depuis 2021, nous avons basculé à 100% sur de l’électricité verte certifiée », explique Marco Strasser, ingénieur chez Zermatt Bergbahnen. « C’est une exigence que nous avons poussée en interne, pour aligner notre activité avec les engagements climatiques. L’hydroélectricité suisse, en particulier celle des barrages alpins, nous permet de couvrir tous nos besoins. »
Cette transition énergétique a été pensée sans transiger sur la performance : les nouvelles installations combinent vitesse, capacité et efficacité énergétique. En témoigne le Matterhorn Glacier Ride II, télécabine futuriste qui relie depuis 2023 Zermatt au Petit Cervin en traversant la frontière : une prouesse d’ingénierie au service d’une mobilité différenciée.
Le chantier du siècle : Alpine X, une traversée durable des Alpes
Un projet illustre à lui seul le virage durable de Zermatt : Alpine X. Lancé en 2018, ce chantier titanesque a permis de relier par câble les domaines de Zermatt en Suisse et de Cervinia en Italie. Résultat : les skieurs n’ont plus besoin de prendre leur véhicule pour passer d’un versant à l’autre. Moins de trajets polluants, plus d’intermodalité — un pari osé mais à fort impact environnemental.
Le défi technique fut immense : creuser dans la roche, installer des pylônes dans un environnement extrêmement fragile, tout en respectant la faune alpine et en limitant le déboisement. Une fine coordination avec les autorités environnementales a été cruciale pour limiter l’empreinte écologique globale. L’aménagement a été accompagné d’une revégétalisation active et d’un suivi floristique sur dix ans.
« Chaque tranchée, chaque pelleteuse, chaque transport héliporté a été passé au crible », témoigne Lara Maurer, biologiste engagée dans l’étude d’impact. « Nous avons réussi à démontrer que même les grands projets touristiques peuvent s’aligner avec les objectifs de préservation environnementale, à condition que la volonté politique suive. »
Les hôtels au défi du bilan carbone
Zermatt ne se contente pas d’optimiser ses infrastructures : elle implique aussi le secteur hôtelier dans sa démarche. Plus de 50 établissements se sont inscrits dans la démarche « Swisstainable », le programme de durabilité de Suisse Tourisme. Ce label national évalue les performances environnementales, sociales et économiques des entreprises touristiques.
Concrètement, cela se traduit par :
- Des rénovations thermiques ambitieuses (isolation, pompes à chaleur, triple vitrage).
- Des menus repensés pour intégrer davantage de produits locaux, bio ou végétaux.
- La récupération des eaux de fonte pour l’arrosage des espaces paysagés.
- Une traçabilité précise des déchets et des indicateurs partagés en open data.
« Être durable, ce n’est pas juste enlever les pailles en plastique, c’est une refonte complète de notre manière de travailler », souligne Corinne Julen, directrice du CERVO Mountain Resort, l’un des établissements pionniers de la transition verte à Zermatt. Le CERVO s’est doté d’une mini-centrale de biomasse et vise la neutralité carbone complète à l’horizon 2028.
Et les skieurs·euses dans tout ça ?
Si les infrastructures évoluent, les comportements des touristes doivent être au diapason. Pour encourager une pratique plus douce et consciente du ski, la station a mis en place plusieurs outils :
- Une application mobile qui affiche la pression sur les pistes en temps réel, pour éviter la surfréquentation.
- Des forfaits « chill day » avec accès aux chemins de randonnée, à la mobilité douce et à des offres de restauration végétarienne.
- Des campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux visant à déconstruire le modèle du ski ultra-consommateur (hélicoptère, vin chaud et descente à fond).
« Les nouvelles générations sont prêtes à revoir leur rapport à la montagne », constate Céline Gruber, directrice marketing de Zermatt Tourisme. « Elles sont sensibles à l’impact de leurs choix, et nous leur proposons des alternatives concrètes. L’idée n’est pas de renoncer au plaisir, mais de le vivre autrement. »
Les limites de l’exemplarité
Malgré ses nombreuses avancées, Zermatt n’est pas exempte de critiques. Certaines associations pointent du doigt l’artificialisation croissante du territoire, notamment avec la création de nouveaux itinéraires de ski d’été sur le glacier du Theodule. « Le ski toute l’année pose de vraies questions au regard du dérèglement climatique », alerte Lukas Müller, porte-parole de Mountain Wilderness Suisse.
Par ailleurs, les infrastructures très techniques et coûteuses interrogent leur pertinence dans d’autres stations moins fréquentées. Zermatt dispose d’un capital touristique et d’une visibilité internationale qui lui permettent d’investir massivement. Transposer son modèle à une petite station jurassienne reste un défi à part entière.
Enfin, le coût d’un séjour y reste élevé, limitant l’accessibilité de la pratique du ski à une frange de la population. Une transition durable doit aussi veiller à ne pas exclure certains profils, au risque de transformer le tourisme de montagne en un luxe élitiste.
Un regard vers l’avenir
Zermatt ne prétend pas avoir trouvé toutes les réponses, mais elle montre qu’un autre tourisme est possible. C’est un territoire où la conscience écologique avance main dans la main avec l’ambition technologique. Là où d’autres parlent d’écotourisme, elle l’expérimente concrètement, parfois imparfaitement, souvent audacieusement.
Alors que de nombreuses stations suisses s’interrogent sur leur viabilité future dans un contexte de réchauffement accéléré, Zermatt ouvre des pistes — au sens propre comme figuré. Des pistes vers un tourisme qui intègre la montagne comme un écosystème fragile et non comme une simple infrastructure de loisirs.
Et si l’avenir du ski alpin passait justement par moins de ski… mais plus de sens ?
