Pfas eau Suisse : un enjeu sanitaire et environnemental urgent

Des « polluants éternels » dans notre eau potable ?

Invisible à l’œil nu mais omniprésente dans notre quotidien, une famille de substances chimiques inquiète de plus en plus les scientifiques, les écologistes et, désormais, les autorités suisses : les PFAS ou substances per- et polyfluoroalkylées. Surnommées « polluants éternels » en raison de leur persistance dans l’environnement, ces molécules se retrouvent dans l’eau, le sol, les aliments… et jusque dans notre sang. Leur présence en Suisse, bien qu’encore mal documentée, commence à soulever des questions tout sauf théoriques.

Alors que plusieurs pays européens lancent des plans d’action pour réduire l’exposition de la population aux PFAS, la Suisse commence seulement à prendre conscience de l’ampleur du problème. Que sait-on aujourd’hui de la contamination de notre eau potable ? Quelles régions sont concernées ? Et surtout, comment agir concrètement ?

Des composés omniprésents

Inventées dans les années 1940, les PFAS sont utilisées pour leurs propriétés antiadhésives, hydrofuges ou anti-taches. On les retrouve dans des produits de consommation courante tels que les poêles antiadhésives, les emballages alimentaires, les vêtements de sport, les mousses anti-incendie ou encore dans certaines peintures industrielles.

Ces substances ne se dégradent quasiment pas dans la nature. Résultat : elles s’accumulent au fil du temps et voyagent loin de leur point d’émission, menaçant les écosystèmes et la santé humaine. Des études internationales relient la présence de PFAS à des problèmes de fertilité, des maladies thyroïdiennes, des troubles du système immunitaire et même certains cancers.

Une pollution déjà identifiée en Suisse

Si l’ampleur exacte de la pollution aux PFAS reste à établir à l’échelle nationale, plusieurs cas préoccupants ont déjà été signalés en Suisse romande. En Valais, l’usage historique de mousses extinctrices contenant ces substances sur l’aéroport militaire de Sion a contaminé les nappes phréatiques en contrebas. À Lausanne, des traces de PFAS ont été détectées dans l’eau potable issue de la Venoge, bien que sous les seuils considérés comme préoccupants à ce jour.

Selon un rapport coécrit en 2022 par l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), la Suisse dispose de peu de données concrètes sur la présence de PFAS dans ses eaux. Mais l’alerte est lancée : une étude menée dans 38 stations d’épuration suisses montre des rejets non négligeables de ces substances dans les cours d’eau. Le canton de Vaud a récemment lancé un monitoring régional pour mieux comprendre l’exposition de sa population.

L’Europe accélère, la Suisse observe

Face à la montée des preuves scientifiques, l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège, le Danemark et la Suède ont soumis à l’Agence européenne des produits chimiques une proposition ambitieuse : interdire plus de 10’000 types de PFAS dans l’Union européenne, sauf exception. Cette interdiction – si elle est adoptée – constituerait l’une des régulations les plus lourdes de l’histoire de la chimie européenne.

Et la Suisse, alors ? Pour l’heure, elle aligne ses normes sur celles de l’UE, mais sans les devancer. Une motion déposée en 2023 au Conseil national appelle à interdire l’importation et l’utilisation de produits contenant des PFAS non essentiels. Le Conseil fédéral s’est déclaré ouvert à une évaluation approfondie. Les écologistes et plusieurs associations réclament quant à eux des mesures immédiates, notamment dans les zones identifiées comme polluées.

Un enjeu sanitaire majeur

La question de l’eau potable est centrale dans le débat. Car même à très faible concentration, des PFAS peuvent s’accumuler dans le corps humain. Dans certains cantons allemands, des personnes ont reçu pendant des années de l’eau contenant des niveaux de PFAS désormais jugés dangereux. Le résultat ? Une surveillance médicale de masse et d’importants travaux de dépollution… à prix d’or.

En Suisse, les normes actuelles fixées par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire tolèrent jusqu’à 100 nanogrammes de PFAS dans un litre d’eau. Or l’Autorité européenne de sécurité des aliments recommande une limite bien inférieure : 4,4 nanogrammes, toutes substances confondues. La Confédération révise sa législation, mais le chemin s’annonce long. En attendant, les cantons sont en première ligne pour initier des analyses ciblées.

Que fait-on sur le terrain ?

Certains acteurs n’attendent pas une directive fédérale pour agir. À Fribourg, l’Office cantonal de l’environnement a lancé une étude de la qualité de l’eau dans les zones autour de sites industriels sensibles. À Genève, une coalition de citoyen·ne·s, d’associations écologiques et de professionnel·le·s de la santé a organisé une série de conférences destinées à alerter le public et les décideurs.

Dans le Jura, le bureau d’ingénierie environnementale ECOTEC a mis en place une technologie de filtration par charbon actif testé sur des petites stations communales. Selon son cofondateur Alexandre Marguet :

« Nous ne pouvons pas attendre de résoudre tout le problème pour commencer à traiter les cas prioritaires. La technologie existe, elle doit maintenant être rendue accessible. »

Des coûts environnementaux et sociaux importants

Une fois les PFAS dans l’environnement, les retirer est compliqué et coûteux. Les nappes phréatiques contaminées doivent parfois être abandonnées – un scénario déjà envisagé à Sion. Les sols pollués nécessitent des excavations massives, suivies d’un traitement spécifique. En d’autres termes : mieux vaut prévenir que guérir.

Cette réalité économique pourrait peser lourdement sur les communes, souvent peu préparées à financer de telles opérations. Pour les activistes, cet enjeu devrait être traité comme une priorité sanitaire et pas uniquement comme un problème technique. La question se pose aussi de faire payer les producteurs de PFAS ou les utilisateurs industriels historiques, à l’image des « pollueurs-payeurs ».

Et nous, citoyen·ne·s ?

Faut-il s’alarmer ? Non. Mais rester passif·ve·s ? Encore moins. En attendant des normes renforcées, des gestes simples peuvent réduire notre exposition personnelle aux PFAS :

  • Éviter les poêles antiadhésives usées et privilégier les matériaux comme l’inox ou la céramique.
  • Laver les vêtements de sport neufs avant usage, surtout s’ils sont censés être « waterproof ».
  • Limiter les emballages alimentaires gras (sacs popcorn micro-ondes, emballages fast-food).
  • Faire pression collectivement pour un meilleur étiquetage des produits contenant des PFAS.

Plus largement, s’informer, interroger les élu·e·s communaux·ales, participer aux enquêtes publiques sur la qualité de l’eau dans sa commune : autant d’actes citoyens qui, mis bout à bout, permettent de construire une pression positive pour accélérer la prise de conscience.

Une opportunité pour innover

Si l’on veut transformer cette crise en levier, il faudra mobiliser à la fois la science, les industriels et les collectivités territoriales. Or, on observe en Suisse romande des signaux encourageants : entreprises de traitement des eaux investissant dans de nouvelles technologies, laboratoires universitaires planchant sur des biofiltrations ou des alternatives aux PFAS, partenariats public-privé pour tester des solutions à l’échelle locale.

La Ville de Neuchâtel, par exemple, a financé une étude-pilote pour développer un système de détection en temps réel des PFAS dans les réseaux d’eau. Quant à l’EPFL, ses équipes de chimie environnementale travaillent sur des enzymes capables de « briser » les liaisons chimiques ultra-stables des PFAS. Une avancée prometteuse qui pourrait à terme changer la donne.

Face à un problème global, les réponses locales comptent. Et c’est peut-être précisément là, dans la combinaison d’une vigilance citoyenne, de l’innovation scientifique et de la volonté politique que réside notre meilleure chance de préserver ce bien commun qu’est l’eau.

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