Un coin de Jura dans votre assiette
Si vous avez déjà visité Porrentruy, cette petite ville jurassienne nichée entre collines verdoyantes et murs chargés d’Histoire, vous avez peut-être croisé des planchettes garnies circulant entre les tables de ses cafés et bistrots. Plus qu’une spécialité culinaire, la planchette porrentruyienne est un concentré de terroir, de convivialité et de créativité locale. Autrefois réservée aux marchés du dimanche et aux soldes de charcuterie, elle s’impose aujourd’hui comme un emblème moderne et inventif de la gastronomie régionale.
Mais comment cet assortiment simple de produits locaux tranchés et dressés sur une planche en bois est-il devenu un objet de fierté collective et un terrain d’expérimentation gastronomique ? Tour d’horizon d’une tradition gourmande qui n’a pas dit son dernier mot.
Un héritage bien de chez nous
La légende veut que les premières planchettes aient vu le jour dans les bistrots ouvriers de Porrentruy au début du XXe siècle. Composées à partir de restes de charcuterie, de fromages d’alpage et de cornichons vinaigrés, elles servaient d’encas rapide et nourrissant, accompagné d’un verre de rouge. Autrement dit : le casse-croûte du peuple.
Pour en savoir plus, nous avons rencontré Anne-Marie Vuilloz, historienne et autrice d’un ouvrage sur les traditions culinaires jurassiennes :
« La planchette, c’était avant tout du bon sens paysan. Rien ne se perdait : on tranchait ce qu’on avait, on partageait ce qu’on pouvait. C’était simple, rustique, et profondément communautaire. »
Au fil du temps, ce format convivial et sans chichis s’est enraciné dans la culture locale. S’il n’existe pas de recette officielle – et c’est bien là toute sa force – certains critères font consensus : un plateau en bois, une sélection de charcuteries fumées, un fromage régional (Tête de Moine obligatoire !), et quelques accompagnements maison. Le tout partagé autour d’un verre, d’une conversation et souvent d’un rire franc.
Du rustique au gastronomique : l’essor récent des planchettes
Soulignons-le : la planchette ne s’est pas seulement maintenue, elle s’est embourgeoisée… dans le bon sens. Si, naguère, elle évoquait les bancs d’auberges pleines de fumée, elle prend aujourd’hui place dans les cafés culturels, les épiceries fines et même les restaurants « gastro-locaux » de la région. À l’image de ces planchettes végétariennes composées de pâtés d’orties et de fromages artisanaux, ou encore de celles intégrant des pickles de légumes bio fermentés sur place.
Stéphane Chappuis, gérant du café-brocante « Le Troisième Bureau » à Porrentruy, en a fait son produit phare :
« Ici, on compose nos planchettes en fonction des saisons et des producteurs locaux. En hiver, c’est jambon cru jurassien et pain au levain. En été, on passe à des fromages frais, des légumes marinés et deux-trois surprises. On cherche à reconnecter les client·e·s à la nature et à notre territoire par ce qu’ils mangent. »
L’engouement ne concerne pas uniquement les professionnel·le·s. À l’approche des beaux jours, les planches fleurissent aussi sur les nappes lors de pique-niques, ou comme encas de randonnée. En cela, elles incarnent une tendance plus large : celle du manger local, mais aussi simple et authentique. Le « fait-maison » sans simulation.
Une vitrine pour les artisan·e·s alimentaires du Jura
La planchette agit aujourd’hui comme un concentré du marché alimentaire régional. Chaque tranche y devient porteuse d’histoires et de savoir-faire agricoles. Charcutier·ère·s, affineur·euse·s, boulangèr·e·s locaux… tous trouvent une reconnaissance nouvelle à travers ces mises en scène culinaires.
Jacques Meister, artisan-charcutier à Courgenay, observe cette transformation avec enthousiasme :
« On vend de plus en plus nos produits en petites portions pour les planchettes. Les client·e·s veulent savoir d’où ça vient, comment c’est fait. Ils posent des questions sur les races de cochons, s’intéressent aux méthodes de fumaison… Ça change tout. »
Ce regain de transparence rencontre également les exigences des clientèles urbaines plus jeunes, friandes du consommer responsable. La traçabilité devient un argument fort, et les planchettes jouent désormais un rôle de médiation entre producteur·rice·s et consommateur·rice·s.
La planchette, nouveau terrain de jeu des entrepreneur·euse·s locaux·ales
Signe que le phénomène prend de l’ampleur : plusieurs initiatives entrepreneuriales ont vu le jour récemment autour de ce format. À Delémont, une start-up baptisée Planche Jurassienne propose des plateaux apéritifs livrés à domicile, avec traçabilité complète et fiches produits intégrées. L’objectif ? Mettre en valeur les producteurs jurassiens en soignant à la fois le goût, le design et l’expérience client.
Autre exemple à Saint-Ursanne : la micro-épicerie coopérative La Fourch’ette organise des ateliers mensuels autour de la composition de planchettes thématiques (végane, sauvage, terroir & bière locale…). Isabelle Schwab, animatrice du lieu, observe un engouement croissant :
« Le format plaît parce qu’il est ludique et non intimidant. On discute des producteurs, on apprend des choses en goûtant. Ça plaît aux jeunes, aux familles, aux retraité·e·s. Et ça crée du lien. »
Ainsi, la planchette n’est plus seulement un en-cas : elle devient un support d’innovation, d’éducation populaire aux enjeux alimentaires et de mise en réseau des acteurs du territoire jurassien.
Planchette et durabilité : un duo naturel
On l’oublie parfois, mais une planchette bien conçue est un modèle de durabilité. Produits locaux, peu transformés, portions adaptées, zéro emballage… difficile de faire mieux en matière de circuit court. Lorsqu’on y ajoute un pain bio du coin et quelques légumes de saison, le bilan carbone reste planchement bas.
Certaines entreprises jurassiennes vont même plus loin. À Chevenez, la fromagerie artisanale Frey & Fils a entrepris de confectionner ses propres planches en bois issu de forêts gérées durablement : cerisier, frêne, ou même noyer local. L’emballage est remplacé par des torchons recyclés ou des caisses réutilisables. Le design rejoint l’éthique.
L’exemple est suivi dans plusieurs établissements scolaires de la région : dans les cantines, certaines écoles remplacent désormais les assiettes plastiques par de vraies planchettes en bois, dans une logique à la fois écologique et pédagogique. Pratique, lavable, esthétique. Qui aurait cru que le snack paysan deviendrait fer de lance de la restauration responsable ?
Regards croisés : jeunes et traditions
Du côté des jeunes, le concept séduit pour d’autres raisons : liberté de choix, esthétique soignée, et partage Instagram-friendly. La « planchette party » est devenue l’alternative locale et chic aux tapas espagnols. Mais attention, pas question de trahir l’esprit d’origine.
Camille et Julien, deux étudiant·e·s de la Haute école de gestion Arc, ont réalisé un mémoire sur la relance des patrimoines comestibles :
« Ce qu’on observe, c’est que les jeunes ne veulent pas nécessairement moderniser à tout prix. Ils veulent plutôt comprendre et valoriser ce qui existe, y apporter une touche d’esthétisme ou de personnalisation, sans dénaturer les produits. »
Et si l’avenir des traditions passait justement par ces formes hybrides, où l’on marie ancrage et innovation, terroir et design, rusticité et storytelling numérique ?
Envie de composer votre propre planchette ?
Voici quelques ingrédients phares à inclure pour une planchette typique de Porrentruy :
- Un fromage à la coupe : Tête de Moine, Tomme jurassienne, ou Vacherin
- Une charcuterie locale : viande séchée, jambon cru, saucisson fumé de la région
- Un élément végétal : pickles maison, radis, tranches de pomme ou confit d’oignon
- Du pain paysan : idéalement au levain, avec croûte craquante
- Une touche sucrée : confiture d’airelles ou noisettes torréfiées
- Un accompagnement liquide : un vin jurassien ou une bière artisanale
Et surtout : que ce soit fait avec goût, cœur… et partage. Parce qu’au fond, la planchette, ce n’est pas l’art de beurrer épais — mais celui de porter des valeurs sur une belle surface en bois.
