Découvrir les secrets architecturaux de la cathédrale de Berne

Une dentelle de pierre au cœur de la vieille ville

Impossible de la manquer. Surplombant la vieille ville médiévale de Berne, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, la cathédrale (ou Münster) impressionne par ses lignes élancées et son clocher, le plus haut de Suisse. Mais au-delà de sa silhouette gothique et majestueuse, cet édifice cache une somme de détails architecturaux, de prouesses techniques et d’intentions symboliques qui en disent long sur l’histoire de la Confédération, de ses artisan·e·s… et de ses ambitions pas si modestes.

Visiter la cathédrale de Berne, c’est plonger dans plus de 500 ans d’histoire. Mais c’est aussi s’émerveiller devant l’ingéniosité de ses bâtisseurs, dont le souci du détail résonne encore dans chaque pierre sculptée, chaque voûte, chaque gargouille.

Un chantier titanesque pour une capitale en devenir

La première pierre est posée en 1421, alors que Berne consolide son rôle de ville influente au sein des Confédérés. L’objectif est clair : affirmer la puissance de la cité. L’architecture gothique flamboyante, en vogue à l’époque dans les grandes capitales européennes, est choisie comme langage visuel. Et pour cause : rien de tel que de très hauts plafonds, des vitraux multicolores et des arcs-boutants à foison pour impressionner les fidèles… et les alliés potentiels.

Mais ce chantier, colossal pour l’époque, s’étendra sur plus de quatre siècles. Le clocher, par exemple, ne sera achevé qu’en… 1893. Une patience qui a permis d’insuffler à l’édifice une rare cohérence, malgré les changements de style au fil des décennies. « Il s’agit sans conteste de l’un des exemples les plus réussis de l’architecture gothique tardive en Suisse », confirme Céline Maureret, historienne de l’art rattachée à l’Université de Lausanne.

L’art de jouer avec la lumière

Si l’extérieur impressionne par sa verticalité, c’est à l’intérieur que l’on comprend à quel point les bâtisseurs savaient manier l’espace et la lumière. La nef centrale, avec ses voûtes en étoile, donne un sentiment d’élévation immédiate. Tout a été pensé pour que la lumière naturelle ne soit pas simplement utile, mais mise en scène. À certaines heures du jour, les vitraux baignent l’intérieur de couleurs tamisées, créant une atmosphère à la fois solennelle et chaleureuse.

Fait étonnant : la cathédrale, comme bon nombre d’églises protestantes après la Réforme, a été vidée de ses ornements liturgiques riches. Pourtant, son architecture conserve une théâtralité. « C’est presque paradoxal, mais cela permet de mieux apprécier les lignes, la structure pure », précise l’architecte bernoise Jonas Hefti, spécialisée dans la restauration du bâti ancien.

Un tympan qui en dit long sur les mentalités de l’époque

Sous le porche principal, l’œil est immédiatement attiré par le tympan sculpté représentant le Jugement dernier. Rien de très atypique à première vue : des anges, des damné·e·s, des élu·e·s, le Christ trônant au sommet. Ce qui l’est davantage, c’est son état de conservation exceptionnel. Plus rare encore : c’est l’un des rares ensembles sculptés de ce type à avoir survécu intact à la Réforme protestante.

Pourquoi n’a-t-il pas été détruit, comme tant d’autres œuvres suspectées d’iconolâtrie ? Certains avancent que c’est justement sa position extérieure, donc moins « sacralisée », qui l’a sauvé. D’autres y voient la preuve d’un certain pragmatisme bernois : même puritaine, la ville tenait à son prestige.

Des gargouilles pas si décoratives

Quiconque lève les yeux apercevra une impressionnante série de gargouilles. Moins connues que celles de Notre-Dame de Paris, elles rivalisent pourtant d’humour noir et de détails grimaçants. Certaines affichent des visages grotesques, d’autres des animaux hybrides, des monstres ou des scènes ludiques frôlant la satire sociale.

Mais ces gargouilles ne sont pas que des fantaisies de sculpteur·ice. Elles remplissaient une fonction très concrète : évacuer l’eau de pluie tout en éloignant, symboliquement, les esprits maléfiques. Leur positionnement stratégique continue aujourd’hui de protéger la fragilité des pierres calcaires de façade, beaucoup plus sensibles à l’érosion qu’on ne l’imagine.

126 mètres pour défier les nuages

Avec ses 100,6 mètres au moment de sa construction, le clocher de la cathédrale de Berne ne suffisait plus à la fin du XIXᵉ siècle à refléter la modernité d’une Suisse entrée dans l’ère industrielle. C’est pourquoi l’on décide de le surélever, atteignant ainsi les 126 mètres qu’on lui connaît aujourd’hui. De quoi la hisser au rang de la plus haute église du pays – un titre qu’elle détient toujours.

Le panorama offert depuis sa plateforme est à couper le souffle : Alpes bernoises par temps clair, toits de la vieille ville, Aar sinueuse… Et pour y accéder ? 344 marches. Aucun ascenseur évidemment. Mais peut-on vraiment parler d’architecture sans un peu d’effort physique ?

Une restauration entre tradition et high-tech

La cathédrale fait aujourd’hui l’objet d’un entretien de longue haleine. Depuis les années 1990, une série de chantiers de restauration se succèdent par tranches, avec un budget annuel situé entre 1,5 et 2 millions de francs, financé en partie par le canton, la ville et des dons privés.

Ces restaurations sont l’occasion d’un savant équilibre entre conservation patrimoniale fidèle et innovations techniques. Le bureau Suter & Renfer, en charge du projet, utilise notamment des relevés laser 3D pour documenter les moindres fissures ou éléments fragilisés. Des matériaux locaux, comme le calcaire du Jura bernois, sont privilégiés pour garantir une cohérence minérale.

Un lieu vivant, pas un musée figé

Il serait tentant de voir la cathédrale de Berne comme une simple carte postale architecturale. Mais l’édifice continue à jouer un rôle dans la vie culturelle locale. En plus des offices, on y organise des concerts, des conférences et même des expositions en lien avec l’histoire de la ville ou les arts visuels.

Le programme musical, notamment pendant l’Avent, attire des milliers de personnes. L’acoustique exceptionnelle de la nef en fait un lieu prisé des chœurs et ensembles classiques. Plus inattendu : certaines pièces contemporaines ont même été conçues en lien direct avec l’histoire du lieu.

Ce que la cathédrale révèle du génie collectif

Derrière chaque relief, chaque tarabiscotage de pierre, chaque colonne perchée à 18 mètres de haut, on devine une chaîne de savoir-faire, d’ingéniosité et de visions partagées. Loin des signatures d’architecte-star, la cathédrale est le résultat d’un labeur modeste, collectif, parfois anonyme. Une œuvre où se croisent tailleurs de pierre, poètes, charpentiers, sculpteurs, urbanistes… et citoyens convaincus de bâtir quelque chose qui leur survivrait.

À une époque où l’architecture contemporaine suscite parfois l’incompréhension, la cathédrale de Berne rappelle que les grands projets prennent du temps, s’enracinent dans un territoire, dans une mémoire, et offrent à leurs habitant·e·s bien plus qu’un décor : une manière d’habiter le monde.

Alors la prochaine fois que vous déambulerez sous ses arches ou grimperez ses marches, prenez une seconde pour scruter un détail, un personnage, une pierre qui dépasse. Vous pourriez y lire bien plus qu’un chef-d’œuvre gothique : un message transmis à voix basse depuis le XVe siècle.

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