Lostallo Suisse : un village discret aux trésors cachés

Un hameau aux allures ordinaires… en apparence seulement

Niché entre les pentes verdoyantes du val Mesolcina, dans le canton des Grisons, Lostallo pourrait facilement passer inaperçu. Traversé en quelques minutes à peine, ce village de 700 habitant·e·s ne figure pas souvent dans les guides de voyage — et c’est peut-être ce qui fait sa force. Car derrière son apparente discrétion, Lostallo cultive un art de vivre singulier, nourri par des dynamiques locales surprenantes. Innovation, durabilité, savoir-faire artisanaux : ce microcosme alpin révèle des trésors à qui sait regarder au-delà des apparences.

Une tradition agricole qui se réinvente

Comme bien des localités montagnardes, Lostallo a longtemps vécu du rythme immuable de l’agriculture de montagne. Mais depuis une dizaine d’années, plusieurs jeunes producteur·rice·s ont repris les rênes d’exploitations familiales pour leur donner un nouveau souffle. Le couple Simona et Luca Battaglia, par exemple, a transformé l’exploitation laitière héritée des grands-parents en ferme biologique fondée sur l’agroécologie. Leur démarche ? Repenser le modèle productiviste classique avec des pratiques plus douces pour les sols et plus justes pour les animaux.

« On travaille avec les cycles naturels, pas contre », explique Simona. Grâce à leur lait de montagne non standardisé, ils produisent un fromage saisonnier labellisé Bio Suisse, très prisé dans la région. Ce retour aux fondamentaux, combiné à l’usage discret de technologies de suivi des pâturages, incarne bien cette réconciliation entre ancrage local et innovation douce.

Le numérique au service de la proximité

À Lostallo, l’innovation technologique ne rime pas avec déshumanisation. Ici, le numérique est utilisé comme levier pour renforcer les liens sociaux et l’autonomie locale. Un exemple parlant : l’initiative de la municipalité autour d’une plateforme communautaire de partage d’objets. Perceuse, hachoir, raquettes à neige — nombre d’outils dorment dans des caves sans être utilisés. Le village a mis en place un système de prêt entre voisin·e·s, accessible via une application mobile simplifiée.

« Ce n’est pas seulement pratique, c’est aussi un prétexte pour échanger, renouer des liens », témoigne Caterina Bianchi, habitante et contributrice active de la plateforme. Depuis son lancement, plus de 200 objets ont été partagés, et on note une baisse des achats à usage unique. Une manière subtile mais efficace de contribuer à une économie circulaire du quotidien.

Une PME à la pointe des matériaux durables

Cacher une entreprise industrielle au cœur d’un village alpin pourrait sembler saugrenu. Et pourtant : à la sortie nord de Lostallo, une entreprise familiale, Silvamat, travaille à transformer les sous-produits du bois en isolants écologiques. Fondée en 1998, la PME connaît un regain d’attention depuis la montée des préoccupations autour de l’efficacité énergétique des bâtiments.

Silvamat emploie aujourd’hui une quarantaine de personnes, dont plusieurs résident·e·s du village, et développe des solutions biosourcées à partir des sciures et copeaux de mélèze et d’épicéa. Leurs panneaux isolants sont utilisés dans des projets d’architecture durable aux quatre coins de la Suisse. « Nous faisons partie d’une chaîne : du forestier jusqu’à l’architecte. Notre matière première est locale, recyclable, et offre une alternative concrète aux matériaux pétrochimiques », détaille Claudia, ingénieure projet chez Silvamat.

Le patrimoine vivant comme moteur d’identité

Si l’innovation est ancrée dans le présent, Lostallo n’oublie pas ses racines. Il suffit d’observer les toits de pierre traditionnels, les murs en gneiss soigneusement maçonnés et les moulins à eau restaurés pour mesurer l’attachement du village à son histoire. L’Association Patrimoine Lostallo s’efforce depuis 20 ans de maintenir vivante la mémoire du lieu. Récemment, elle a coordonné la rénovation d’un ancien four communal, désormais utilisé chaque mois pour des ateliers de panification ouverte à tous·tes.

Un projet à mi-chemin entre la sauvegarde et la transmission, comme en témoigne Gabriele Lanz, historien et bénévole : « On ne voulait pas simplement faire un musée figé. L’idée, c’est que ce four serve encore à la communauté. Le pain, c’est un acte social. » Le succès est tel qu’une liste d’attente s’est formée pour les prochaines fournées.

Quand la jeunesse dessine l’avenir

À l’heure où beaucoup de villages peinent à retenir leurs jeunes, Lostallo semble parvenir à inverser la tendance. En cause : une volonté collective de donner une voix à la nouvelle génération. Chaque année, le « Laboratorio Lostallo », un forum participatif mené avec les écoles et les partenaires locaux, rassemble des adolescent·e·s pour repenser les espaces publics, les loisirs, et les besoins sociaux émergents.

En 2023, c’est grâce à cette initiative qu’est née l’idée d’un petit cinéma communautaire dans une salle communale inutilisée. Un groupe de lycéen·ne·s a monté, avec l’aide de la commune et des bénévoles, une programmation mensuelle de films suisses et de débats post-projection. Une initiative qui fait salle comble — au propre comme au figuré — à chaque séance.

La conseillère municipale en charge du projet, Roberta Moretti, insiste sur ce principe clé : « On ne propose pas des activités pour les jeunes, on les construit avec eux·elles. Cette co-création change tout. »

L’économie du « petit mais robuste »

Si Lostallo peut se permettre ces expérimentations sociales et environnementales, c’est aussi parce qu’il a su préserver une forme d’autonomie économique. En complément des activités agricoles et artisanales, le village compte plusieurs microentreprises, évoluant souvent en réseau selon un principe d’économie de proximité. Le café-atelier L’Albula vend ainsi uniquement des produits confectionnés ou cultivés dans un rayon de 30 kilomètres.

En privilégiant le circuit court et l’ancrage territorial, ces structures participent à une forme de résilience locale. « Nous ne sommes pas dans l’autarcie, mais dans une interdépendance intelligente », résume Samuel Rezzonico, fondateur de l’espace de coworking local. Installé dans une ancienne bergerie aménagée de manière minimaliste et chaleureuse, ce lieu hybride accueille des freelance, des artisans numériques et même des ébénistes travaillant à distance… du bois local, bien entendu.

Un laboratoire vivant pour penser autrement le territoire

À bien y regarder, Lostallo fonctionne comme un micro laboratoire : pas de grande révolution, mais une série d’ajustements fins, de décisions collectives et de refus de la standardisation. Dans un pays où l’urbanisation parfois écrase les spécificités locales, ce village grison rappelle que l’innovation peut aussi s’épanouir par petites touches — à condition qu’elle s’appuie sur un tissu social actif, des ressources bien exploitées, et une vision partagée de l’avenir.

Alors, est-ce que la Suisse romande, urbaine ou périphérique, pourrait s’inspirer de Lostallo pour réenchanter ses territoires ? La question mérite d’être posée. Et peut-être même qu’un prochain week-end dans ce coin improbable des Grisons vous apportera quelques éléments de réponse.

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