Davos sanatorium : histoire, héritage et reconversion d’un symbole alpin

Un joyau alpin chargé d’histoire

À première vue, il pourrait passer pour un palace abandonné. Perché à 1’600 mètres d’altitude, le bâtiment du Davos Sanatorium domine encore aujourd’hui la vallée avec son architecture imposante et sa silhouette iconique. Pourtant, il fut bien plus qu’un simple hôpital : un creuset d’utopies médicales, d’innovations sociales et d’influences culturelles qui ont marqué la Suisse — et au-delà.

Mais que reste-t-il, aujourd’hui, de ce symbole de la modernité sanitaire du XXe siècle ? Et comment la région de Davos envisage-t-elle de revaloriser ce patrimoine sans céder aux sirènes de la gentrification ou de l’effacement historique ?

À l’origine : Davos, station sanitaire globale

Tout commence à la fin du XIXe siècle, lorsque le médecin allemand Alexander Spengler vante les vertus de l’air pur et sec de Davos pour soigner la tuberculose. Très vite, la bourgade grisonne devient une destination de cure prisée par l’élite européenne. On y afflue depuis Vienne, Londres, Berlin ou encore Saint-Pétersbourg pour bénéficier des bienfaits du climat alpin.

Le Davos Sanatorium, inauguré en 1900, s’inscrit dans cette mouvance. Imaginé par Schatzmann & Vögtlin, il révolutionne alors l’architecture hospitalière. Chaque chambre possède une loggia pour l’exposition au soleil, et les couloirs sont pensés pour une oxygénation maximale. Le sanatorium devient une véritable vitrine de la médecine climatique, mais aussi un foyer d’expérimentations sociétales.

Un lieu de soin… mais aussi de pensée

Au-delà du soin, Davos attire des intellectuel·le·s, artistes et écrivain·e·s en quête d’isolement ou de convalescence. L’on citera notamment Thomas Mann, dont le célèbre La Montagne magique (1924) s’inspire directement de son séjour davosien. L’essayiste suisse Carl Spitteler ou encore le philosophe Ernst Cassirer firent eux aussi des incursions significatives dans la région.

Davos n’était donc pas qu’un sanatorium — c’était une enclave culturelle où les idées sur la santé, la société, et le progrès circulaient librement. D’après l’historien Peter Stocker, “le sanatorium incarnait une utopie hygiéniste, où la rationalité devait triompher du chaos pathologique du monde moderne.”

Cette ambition trouve un écho particulier aujourd’hui, à l’heure où santé publique et urbanisme durable redeviennent des enjeux cruciaux. Le parallèle est tentant… et pertinent.

De la modernité à l’obsolescence

Paradoxalement, c’est le progrès médical qui a signé la fin d’une époque. Avec l’apparition des antibiotiques dans les années 1950, les longues cures deviennent obsolètes. Le Davos Sanatorium change alors plusieurs fois de vocation — hôpital psychiatrique, puis établissement scolaire — avant de tomber progressivement en désuétude à partir des années 1990.

L’enjeu devient alors patrimonial. Comment préserver un tel bâtiment sans le figer dans le passé ? Comment faire cohabiter mémoire historique et nouveaux usages, dans une région où les mètres carrés valent de l’or ? En d’autres termes : que faire d’un “symbole vide” ?

Un vent de reconversion souffle sur les Alpes

Depuis 2018, plusieurs projets de reconversion ont été proposés — certains controversés, d’autres salués par la population locale. Le plus récent en date est le projet de transformation en centre de colloques internationaux à vocation médico-scientifique, porté par un consortium d’architectes suisses et financé en partie par le canton des Grisons.

Le mot d’ordre : sobriété et circularité. Interviewé par la RTS, l’architecte Lucia Kramer, en charge du projet, explique : “Il serait absurde de vouloir répliquer la fonction initiale. En revanche, redonner au lieu une mission alignée avec les défis sanitaires actuels, telle que la recherche sur les maladies respiratoires ou le long COVID, est un prolongement logique.”

Le bâtiment devrait ainsi accueillir, dès 2026, des séminaires médicaux, des résidences scientifiques, mais aussi des expositions publiques sur l’histoire de la médecine climatique. Une manière d’articuler héritage et innovation — mais aussi d’ancrer le site dans la vie socio-économique locale.

Quelle place pour les habitant·e·s de Davos ?

Car la crainte est bien là : celle que la reconversion ne profite qu’aux touristes ou aux acteurs internationaux, au détriment des Davosien·ne·s. Or, la mémoire d’un lieu n’a de valeur que si elle est partagée. Plusieurs initiatives associatives, comme celle portée par le collectif “Aria Sana Davos”, militent pour que le centre intègre des espaces accessibles aux jeunes du village, un café communautaire ou encore une bibliothèque participative.

De son côté, la municipalité affirme vouloir mener une “démarche concertée”, même si plusieurs habitant·e·s interrogé·e·s restent sceptiques quant au réel pouvoir de décision accordé à la population. L’urbaniste lausannois Laurent Weber alerte : “Le risque, quand on valorise un lieu patrimonial, c’est de le muséifier. L’idéal reste la réutilisation dynamique, qui crée de l’emploi, de la culture et du lien social.”

Et demain, d’autres sanatoriums ?

Le Davos Sanatorium n’est pas un cas isolé. Partout dans les Alpes, d’anciens établissements de soin tombent en ruine ou cherchent une seconde vie : Leysin, Montana, Arosa… Cette friche architecturale pourrait-elle devenir un terreau d’expérimentations sociales et climatiques ?

Certains projets pionniers explorent déjà la voie : à Leysin, l’ancienne Clinique du Belvédère est progressivement transformée en éco-campus universitaire. À Charmey, un micro-centre d’art s’est installé dans une aile désaffectée d’un sanatorium, accessible en visite libre une fois par mois.

Ces tentatives montrent qu’il est possible d’allier respect du bâti, impact local et utilité contemporaine. Encore faut-il des acteurs engagés, des financements patient·e·s et, surtout, une vision partagée.

Valoriser l’histoire sans basculer dans la nostalgie

Le Davos Sanatorium peut-il éviter l’écueil du marketing patrimonial ? Peut-il devenir autre chose qu’un décor Instagram ? La question n’est pas anodine, car elle dépasse le cas d’un bâtiment pour toucher les choix sociétaux que nous posons collectivement.

Souhaite-t-on préserver la mémoire d’un lieu de soin pour ce qu’il a représenté — le rêve de guérir avec la nature, de soigner par le repos — ou bien le détourner d’une fonction fantasmée pour embrasser les urgences modernes ? Peut-être est-il possible de faire les deux… à condition d’écouter celles et ceux qui vivent à l’année dans ces hauts lieux de silence.

À l’heure du tourisme de sens, de la sobriété énergétique et du retour au local, les montagnes suisses possèdent un atout discret mais précieux : leur histoire. Encore faut-il savoir comment l’habiter, aujourd’hui.

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